Primordial - "Spirit the Earth Aflame"
Chroniqueur, c'est comme n'importe quel job : vous ne le faites (un peu) bien que s'il vous rend (un peu) heureux. On me pardonnera donc de remettre encore à plus tard la revue de disques pourtant reçus à cette fin même et de préférer me consacrer à l'exaltation de l'oeuvre de ce groupe dont on n'a jamais rien reçu : Primordial.
Primordial est Irlandais : rien que pour ça, j'aurais très bien pu ne jamais m'intéresser à eux, moi l'anglophile convaincu.
Primordial est Irlandais : rien que pour ça, je pourrais ne plus jamais m'intéresser à un groupe anglais.
Ce disque est celui de la conquête. On y célèbre l'art de déchiqueter ses ennemis. Oh, que ce disque est guerrier. Il contient même la plus magistrale harangue belliqueuse jamais écrite, le long et ravageur "The burning season", où Nemtheanga, sur fond de black lancinant et tempêtueux, annonce la couleur, rouge, de ses désirs : "we'll drown the new born like unwanted dogs". Rien de moins. La conquête et la vengeance comme objets de vénération, comme fin en soi. Et pour faire passer le message, une production crue et rustique, façonnée dans cette glaise qui colle aux bottes du fantassin. Mais attention, pas un de ces sons bêtement crades pour se donner un genre. Absolument pas. Ici, chaque instrument, chaque note est exacerbé, plus qu'audible : assourdissant. Il faut dire aussi qu'on n'est pas ici en présence d'un black metal de plus. Et malgré le militantisme païen du groupe, on est également loin de ce que l'on entend couramment par "pagan metal". Ici, les choeurs sont rares et lorsqu'ils poindent ("Glorious dawn", "Children of the harvest"), on n'a jamais cette sensation que le groupe tente de manifester de façon ostentatoire son rattachement à un mouvement musical quelconque. On est à mille lieues de ces espèces de fêtes de la bière auxquelles font trop souvent penser les disques étiquetés "pagan". On est également à mille lieues, et ça c'est encore plus fort, de l'utilisation bêtasse des codes musicaux celtiques qui font que mon poil se hérisse dès que j'entends des bagpipes ou des violes à la con. Ici, lorsque le folklore irlandais est mis en avant, c'est avec une sobriété et une profondeur qui permettent d'y voir, encore une fois, autre chose qu'un gimmick. Rien n'est vain sur ce disque, et surtout pas, donc, cet interlude "roots" en forme de veillée d'armes qu'est l'instrumental "The cruel sea". Et lorsque, au sein d'un morceau, le groupe insère une pause acoustique ("Gods to the godless"), ce n'est jamais pour laisser la tension retomber, mais au contraire pour la cultiver, comme des combattants qui profiteraient d'une chevauchée pour se surmotiver en vue de la prochaine attaque. Car, on y revient toujours, ce disque est une guerre. Mais il n'est pas non plus question de "war-metal". Car le propos purement métallique du groupe est délicieusement mélodique et en ce sens, le travail des guitares est un régal. Chaque riff, chaque harmonie, chaque chorus est conçu comme une illustration de la notion de cycle, la pochette étant à cet égard dénuée de toute ambiguïté. D'ailleurs, ce qui fait également la force de ce disque, et de ce groupe à l'échelle de sa carrière, est son unité. Rare qu'un disque soit à ce point marqué, de la première à la dernière note, d'une empreinte unique et indélébile. Bien entendu, la performance vocale de Nemtheanga est au diapason. Ce type maîtrise absolument tous les registres : du récitatif grave au black carnivore, il couvre toute la gamme de ce qui doit être entendu sur un disque aussi épique et combatif. Ah, vous savez, par moment, ce disque fait frissonner, comme par exemple à la fin de "The soul must sleep", avec ce thème narratif entonné sous la forme d'un chorus de guitare souple et acéré. Tempête, recueillement, bataille, hymnes, épopée: "naissance de la tragédie" pourrait être le sous-titre de ce recueil des prières de ceux qui vont tuer et mourir par nécessité.